Philosophie de comptoir
Oui de temps en temps je réfléchis.
Pas trop parce qu'après ça déprime.
Mais un peu quand même de temps en temps, mais je reste accrochée au comptoir.
Ma fille collégienne vient de lire un livre qui raconte l'histoire d'un garçon orphelin qui vit depuis 10 ans chez sa grand-mère paternelle une vie petite, monotone et triste. La seule petite chose légèrement originale de sa vie, c'est une lettre indéchiffrable de son arrière-grand-père mort en 14, une sorte de secret de famille.
Le garçon commence à vouloir de la nouveauté et du dialogue, et interroge sa grand-mère sur ce qu'elle fait pendant qu'il est à l'école : "je survis et je pense aux morts". En gros. Bonne ambiance, non ?
A la fin de l'histoire, on finit par déchiffrer la lettre mystérieuse. Le papy, depuis ses tranchées, dit que ça caille sévère et qu'il aimerait bien qu'on lui envoie des chaussettes et des caleçons en laine. Comme secret de famille, c'est un peu pitoyable, à première vue. Mais quand le garçon montre ça à sa grand-mère en s'imaginant qu'elle va déprimer à mort, elle éclate de rire et l'interprète de la façon suivante : c'est la lettre d'un homme qui essaye de survivre ; elle réalise qu'elle a passé les 60 dernières années de sa vie à obéir à une injonction familiale cachée qui était de survivre. Mais là, elle comprend que c'était une belle idiotie, et que ce qu'il faut c'est vivre, ce qu'elle choisit de s'appliquer à faire, à 80 ans. Elle a raison, il n'est jamais trop tard pour bien faire.
Alors cette notion de survivance, ça m'a fait penser à un terme que je vois utilisé de temps en temps : "Je vous présente Machine, une survivante du cancer du sein".
Je me dis que moi aussi dans quelques temps je pourrais entrer dans le club des survivantes du cancer.
Ou pas. Mais ça, on s'en fout, c'est pas la question du jour.
En tout cas ça fait tout drôle de penser à ça, se voir sous un éclairage de "survivante".
Ca fait même un peu peur.
Vue comme ça, la survivance c'est comme une sorte d'identité qui nous colle à la peau jusqu'à ce qu'on finisse une bonne fois pour toutes par y passer - parce que de toutes façons, je ne voudrais inquiéter personne, mais ça nous pend quand même un peu tous au nez.
Avec le cancer on n'en a pas fini de survivre, effectivement. Entre le moment où les soins sont finis et celui où on nous déclare guéris, on a largement le temps de mourir d'autre chose ;-))) Sans compter ceux qui sont déclarés guéris au bout de 20 ans et qui se payent une récidive la 21ème année...
Bref, j'aimerais bien ne pas avoir à survivre, et être assez fortiche pour vivre, quoi, normal. Ne pas me laisser impressionner par un traitement sur 5 ans, les séquelles physiques, les examens quitte ou double tous les ans, les rinçages de Pac (clin d'oeil à Béatrice)... Quoiqu'en disent les médecins, quels que soient les résultats ultérieurs. C'est un sacré exercice mental, mais bon, à la limite, je suis plus douée pour ça que pour l'exercice physique alors je vais m'y essayer ! ;-)
(gloups)
Oui, je sais, ça sent l'angoisse de fin de traitements, là... ok, ok...